Traduction par Cyril Giron
“Dans ce livre, le mélange de fantaisie, de satire, de philosophie, de poésie, de science, d’imagination et de naiveté enfantine peut aussi bien atteindre les coeurs et les esprits des ‘grandes personnes’ que ceux des ‘enfants’, à travers seulement quatre-vingt-douze courtes pages”. Voici comment Anne Dodd tente de décrire un livre qui ne s’inscrira jamais dans une quelconque catégorie. Cette aventure mystique commence quand Saint-Exupéry fait un atterrissage forcé dans le Désert du Sahara. Apparaît alors un jeune visiteur blond qui demande à l’aviateur de lui dessiner un mouton. Voyageur en provenance d’un petit astéroide, le petit prince décrit son voyage vers la Terre et ses expériences vécues dessus. L’histoire prend fin avec le départ du petit prince de la Terre, un an après son arrivée. Les critiques sont d’accord pour dire que Le Petit Prince est écrit comme un livre pour enfants mais peut être analysé à de nombreux différents niveaux.
Pour commencer, Henri Peyre décrit l’oeuvre tel un conte à l’écriture pure et aux dialogues très simples. La dédicace montre même que le livre parle directement aux enfants. Mais peut-être est-il nécessaire de préciser ce mot : on n’est pas défini comme ‘enfant’ ou ‘adulte’ par son âge, mais par son état d’esprit. Peut-être vaut-il mieux expliquer que c’est une histoire pour enfants, mais qui ne leur est pas spécifiquement destinée.
L’histoire du petit prince prend place à différents niveaux, tant un conte ressemblant à d’aussi grands travaux qu’ Alice au Pays des Merveilles ou que les Voyages de Gulliver. Saint-Exupéry explique l’importance de voir au-delà de la superficialité en commençant son livre avec l’histoire sur les dessins de boas ouverts et de boas fermés. Plus tard, il relate l’histoire de l’astronome Turc qui découvre la maison du petit prince, l’Astéroide B-612. Quand il présente sa découverte au Congrès International d’Astronomie, vêtu de son comique costume Turc, personne ne le croît. L’Homme n’a pas appris à voir au-delà de la superficialité des choses, ou alors il a oublié. Parce que les adultes ne regardent pas à l’intérieur des choses, ils ne connaîtront jamais les autres ou eux-mêmes.
L’idée que l’homme est seul dans le monde incite Martin Heidegger à considéer Le Petit Prince comme “un des grands livres existentialiste de ce siècle”. Toute sa vie, Saint-Exupéry a pensé que les grandes personnes ne se préoccupent que de choses inconséquentes et sont très sots lorsqu’il s’agit de parler de choses importantes. Il n’a jamais rencontré personne avec qui il puisse discuter de ce qui est réellement important.
A travers son livre, Saint-Exupéry enseigne l’importance de regarder au-delà d’une vision superficielle pour trouver la vraie beauté. Analysé à un niveau instructif, son livre pose une mystérieuse question sur les choses communes en montrant ce qu’il y a derrière. Les choses visibles sont seulement des coquillages dans lesquels est masquée la véritable beauté, qui est à l’intérieur. Suite à la leçon du renard nous disant qu’on ne peut voir ce qui est important uniquement en regardant avec son coeur, Saint-Exupéry quitte le désert transformé. Il est d’accord avec la réflexion du petit prince : “les étoiles sont belles à cause d’une fleur que l’on ne voit pas”.
Saint-Exupéry, l’auteur, nous apprend aussi comment aimer — la seule façon de dépasser le blocage existentiel entre les hommes. “L’amour, pour Saint-Exupéry, n’est pas un problème de choix, c’est une question de conséquence; en fait, c’est une façon de survivre. Les hommes doivent apprendre à s’aimer les uns les autres ou périr”. L’amour est ce qui donne à la vie sa raison d’être. L’amour du petit prince pour sa rose est tellement important pour lui que l’aviateur ému commente:
“Ce qui m’émeut si fort de ce petit prince endormi, c’est sa fidélité pour une fleur, c’est l’image d’une rose qui rayonne en lui comme la flamme d’une lampe, même quand il dort…”.
Son amour donne à sa vie un sens et une direction.
Le renard apprend au petit prince comment aimer — une leçon pour nous tous. C’est le temps que l’on ‘gâche’ pour quelque chose ou quelqu’un qui le rend important. C’est le renard qui nous dit comment l’amour dépasse l’existentialisme: “on ne connaît que les choses que l’on apprivoise…. les hommes achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis”. La joie et le plaisir ne doivent être ni donnés ni reçus, comme la joie que l’eau du puit donne au petit prince et au pilote. Sa douceur est “née de la marche sous les étoiles, du chant de la poulie, de l’effort de ses bras”.
Le Petit Prince peut aussi être analysé comme une satire. Il présente une caricature des préoccupations des hommes avec leurs inutiles passe-temps, richesse et pouvoir. Ce sont ces caractéristiques humaines qui font que l’homme “manque les choses essentielles dans la vie : la beauté, l’amour et l’amitié”.
Saint-Exupéry méprise l’alcoolisme comme unique activité. La logique ‘qui se mord la queue’ du buveur montre la stupidité de cette activité. Le buveur explique au petit prince pourquoi il boit:
“Pour oublier.”
“Pour oublier quoi?” s’enquit le petit prince qui déjà le plaignait.
“Pour oublier que j’ai honte” avoua le buveur en baissant la tête.
“Honte de quoi?” s’informa le petit prince qui désirait le secourir.
“Honte de boire!” acheva le buveur qui s’enferma définitivement dans le silence.
Saint-Exupéry méprise aussi l’obsession de l’homme pour la richesse et la puissance, ceci à travers le Roi et le Businessman. Le roi apporte une grande importance au fait d’être obéi quand les ordres sont tels qu’ils ne pouvaient qu’être réalisés. Le businessman juge important, lui, de posséder toutes les étoiles, un collectionneur trop occupé à les compter pour tirer un quelconque plaisir de leur beauté. Le petit prince essaie de faire valoir son point de vue, en expliquant que les étoiles ne peuvent être possédées, il ne leur apporte rien. Le petit prince dit alors qu’il possède une fleur et trois volcans. Le fait qu’il les possède et qu’il en prend soin leur fait du bien. Le businessman n’aide pas les étoiles.
Le petit prince méprise également la fascination de l’homme pour la science et la technologie. Philip Mooney nous dit que “la technologie en soi-même ne peut jamais apporter de bonheur humain car elle ne peut pas plus créer de relations humaines que révéler une personne à une autre”. Cette apathie est illustrée par l’histoire de l’aiguilleur. Des tas et des tas de passagers font route dans des directions differentes, ne sachant jamais vraiment ce qu’ils cherchent et où ils vont.
En dernier lieu, on peut analyser Le Petit Prince comme une profession de foi. L’oeuvre a été appelé une ‘transposition en conte de certains épisodes de la vie du Christ’. Le petit prince arrive sur Terre, dans le désert sous ‘son’ étoile pendant une période de conflit spirituel. Il est réputé être sans maladie, même face au serpent, un symbole biblique du diable. Comme Christ dans le temple, il surprend l’auteur par sa précocité. Il reconnaît immédiatement le dessin du boa fermé et sait que l’auteur a réparé son moteur avant que Saint-Exupéry le lui ait dit. Quand l’auteur arrive à cours d’eau dans le désert, le petit prince le guide ‘miraculeusement’ vers un puit de village -même si ils sont au milieu du désert sans aucun village en vue. Au puit, ils partagent leur ‘dernier dîner’ et le petit prince donne à l’auteur une leçon très similaire au très Chrétien ‘Aimez-vous les uns les autres’. Le moment du départ du petit prince de la Terre est prémédité. Il dit à l’auteur qu’il aura l’air d’être mort, mais qu’il vivra. Le petit prince se sacrifie lui-même à cause de son amour pour toute l’humanité. Quand l’auteur ne trouve plus le corps du petit prince au lever du jour, il sait que le petit prince est retourné sur sa planéte “paradisiaque”, le quittant avec une sorte de ‘fantôme sacré’ — son étoile au paradis et dans sa mémoire. il laisse aussi à l’aviateur son ‘Gospel à réécrire et à transmettre’.
La magnifique et poétique description de la mort du petit prince par l’auteur aviateur illustre sa foi en une vie dans l’Au-Delà. Le petit prince, laissant son ‘corps’ derrière, est parti vers l’endroit le plus beau qu’il puisse imaginer — son étoile et son amour — son propre petit paradis.